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N° 55 : L'art imite la nature 02.08.2013

 

 « Ars imitatur naturæ - l'art imite la nature », des penseurs un peu courts ont pris argument de cet aphorisme d'Aristote pour montrer combien la philosophie réaliste est obtuse. Ils y lisent une condamnation de la liberté et de la créativité humaines. Mais c'est faire peu de cas des chefs-d'œuvre artistiques et culturels grecs qu'admirait tant notre philosophe. Non, ce qu'il voulait nous dire n'a certainement rien à voir avec une soumission aveugle à un ordre infrahumain.

 

Dans sa bouche, l'art ne se limite pas aux “beaux-arts” ; il embrasse tout ce que l'industrie des hommes est capable d'inventer en matière de produits, de technologies, de sciences et de beauté. Or, il est indéniable que la nature environnante impose à l'ingénieur des lois fort rigides dont le mépris conduit à des catastrophes. Pour faire voler un assemblage de pièces de métal, des contraintes obligent à une conception profilée, symétrique, dotée d'ailes et de queue, qui évoque irrésistiblement l'oiseau voguant dans les airs. Pour dominer la nature, l'inventeur doit la respecter. L'imitation est parfois si poussée qu'il nous arrive de ne plus savoir qui s'inspire de qui, lorsque par exemple, nous voulons expliquer les mécanismes de l'intelligence humaine, en les illustrant par le fonctionnement d'un ordinateur à réseau de neurones ! L'art imite la nature.

 

Mais il ajoute : « pour faire œuvre naturelle, l'art procéderait comme la nature, et inversement, la nature produirait des œuvres artificielles comme le ferait l'art lui-même. Mais la nature ne porte jamais un artefact à son achèvement et l'artiste ne peut jamais réaliser une œuvre entièrement naturelle ». Art et nature claudiquent l'un sans l'autre. Saint Thomas en donne la raison : parce que l'intelligence humaine créatrice est fille de l'Esprit divin Créateur. La fierté de l'artiste est d'avoir conçu une pièce plus belle encore, plus spirituelle, que le spectacle s'offrant à ses yeux. Mais c'est au prix d'une lutte incessante contre la matière qu'il travaille. Aussi est-il perpétuellement en quête de nouveaux matériaux, de sons inouïs, de mots inédits, de pigments subtils, de gestes en apesanteur, pour toujours dépasser la réalité brute et lui faire rejoindre son génie. L'art scelle l'alliance de l'âme et de la terre.

 

Mais ce duo cache un passager clandestin. En pliant la nature à ses visions, la fille recherche son Père. Saint Thomas voit, en effet, dans la nature « nihil aliud quam ratio cuiusdam artis, scilicet divinae, indita rebus, qua ipsae res moventur ad finem determinatum - rien d'autre qu'un art divin à l'intime des choses, qui les porte vers leur bien ». Et si le peintre ou le musicien scrute avec autant de concentration les éléments qu'il manipule, c'est pour illuminer son œuvre d'un rayon divin, débusqué dans l'opacité des corps, et pour imprimer l'éternité de l'esprit à une nature appelée à périr sous sa main.

 

Comme une prière à l'Artiste Premier.

 

                  À Cristian de Léon, artiste peintre chilien au Québec

 
 
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