“Le but de la philosophie n'est pas de savoir ce que les hommes ont pensé, mais bien quelle est la vérité des choses”
Adam ne fut pas créé dans un couffin, avec une couche-culotte, une tute et un hochet. Non, lorsque Yahvé lui souffla dans les narines, il surgit debout à l’âge d’homme. Si nous faisions cette expérience imaginaire d’être devenu son contemporain et de le rencontrer par hasard, nous ne remarquerions sans doute rien de particulier en lui. Un homme, fils d’homme, semble-t-il, maillon de la chaîne immémoriale des générations, et prêt à son tour à perpétuer ce cycle. Rien sur son visage ni dans son esprit, ne suggérerait le contraire.
Dieu a créé le premier homme adulte, mais exactement comme s’il avait achevé sa croissance, après une naissance et une enfance entre ses parents. Adam est un homme au plein sens du terme et ne fait exception en rien à ses congénères. Dieu crée toutes choses à l’état parfait, mais d’une perfection comparable à ce qui aurait résulté d’un processus naturel. La Création n’est ni un miracle ni une monstruosité, mais le début de l’histoire de la Nature, nous dit Saint Thomas dans sa Somme théologique.
Pour couvrir la Terre de vie, Dieu n’a pas semé des graines entre les roches d’une planète hostile et désertique. Il a respecté le processus naturel qu’Il avait en tête, afin d’initier au moment favorable, le cycle de germination et de propagation des végétaux pour les siècles des siècles. Lorsque les jours de Sa Création se furent suffisamment préparés jusqu’au troisième, l’herbe, les fleurs et les arbres se mirent alors à pousser et se répandre comme s’il en avait toujours été ainsi. L’acte de Création ne laissa aucune trace de son passage ; l’instant d’après, déjà, personne ne pouvait plus le détecter.
La nature, nous dit encore Thomas d’Aquin, prend son temps pour s’épanouir de semence en verdure, de verdure en tuyau, en épi et en grain. Elle passe lentement de la puissance à l’acte et de l’informe au formé, tandis que Dieu produit instantanément l’être parfait à partir de rien. « Il a fait les luminaires en pleine activité et pas seulement en germe … L’imperfection de l’œuvre témoigne de la faiblesse de l’auteur, mais Dieu est l’Agent parfait dont les créatures ne furent jamais informes ». Le Ciel, la Terre et les grands luminaires furent donc créés “comme si” ils avaient toujours existé.
Voilà pourquoi « la foi seule nous apprend que le monde n’a pas toujours été là, et l’homme ne peut en fournir aucune démonstration » (toujours dans la Somme). À vue de science, en effet, il est plus rationnel de soutenir l’éternité de l’Univers que son commencement. Mais, si ce jugement détient quelque vérité, alors tout essai de cosmogonie, mythique ou post-moderne, est condamné à demeurer de la pure poésie ; l’histoire de l’Univers restera à jamais un mystère. Si telle est bien la réalité, alors, la théorie du Big-Bang (ou ce que j’en ai compris !), loin d’être une preuve de la Création, serait bien au contraire le signe des limites de notre connaissance. Notre monde, avec son expansion et son rayonnement fossile ne formerait-il pas, au fond, qu’une simple région d’un Univers sans âge et infiniment plus vaste, en proie à une agitation locale temporaire parmi d’autres ?