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N° 37 : Starac’ Ethique 16.08.2006

Starac’ Ethique. L’éthique varie selon qu’on est en temps de guerre ou de paix. Lors de conflits, l’individu ne compte qu’ “autant que possible”, mais ne vaut guère dans le prix à payer pour la victoire. Même le héros n’est utile que s’il sert la cause commune. Il devient sinon rapidement suspect. La collectivité prime sur la personne et savoir donner sa vie pour elle, est la vertu suprême. Aucun jugement de valeur dans nos propos, mais un simple constat : la guerre est parfois nécessaire et impose des exigences de comportement bien différentes de la vie dite normale.

 

Le marketing est un art de la guerre : l’art de conquérir des parts de marché jusqu’à la victoire finale et la disparition ou la vassalisation des concurrents. Un champ de bataille de prédilection est l’Audimat, et ses combattants les plus vaillants, les stars de la chanson populaire. Pour cette guerre, est née, il y a quelques années, une école toute militaire : la « Star Académy ». Même le nom est martial !

 

Derrière l’enceinte d’une luxueuse propriété des environs de Paris, elle confine durant plusieurs mois, de jeunes chanteurs dûment recrutés dans les provinces françaises, et veut les former au métier d’artiste de variété. Il est très éclairant de nous arrêter quelques minutes sur ses pratiques. Voyant le chemin, nous découvrirons le but.

 

Les candidats sont évidemment retenus pour leur talent de chanteur, mais à condition qu’il soit perfectible, éliminant ainsi tous ceux dont le métier serait déjà affirmé. La beauté physique et la jeunesse entrent également en jeu, non pas de façon absolue, mais en moyenne et à l’exclusion de toute disgrâce. La sélection doit aussi offrir de l’insolite et de l’émouvant : un handicap ou une maladie, une enfance malheureuse, des mœurs sexuelles déviantes, un second talent, des diplômes de valeur ou au contraire une inculture surmontée, etc. Une majorité de filles, sans être l’exclusivité. Tous doivent être “politiquement corrects” dans leurs propos, leur tenue et même leurs excès, sans aucune aspérité, de façon que chaque fan puisse s’identifier et croire à sa propre chance. L’image romantique de l’enfant du pays, d’humble condition mais doué et valeureux, à qui une société-providence offre sa chance.

 

Parmi les autres parties prenantes, remarquons également :

 

-         Les professeurs. Généralement des professionnels reconnus de leur spécialité. Mais phénomène tout à fait nouveau, nous assistons à la résurgence victorieuse du statut de “maître”. Son autorité est absolue, ses sentences définitives, et l’élève lui voue totale soumission et vénération. En échange, le maestro doit offrir un savoir faire rare et inaccessible. Imitation d’un système scolaire colonial  fondé sur le pouvoir absolu du savoir.

 

-         Les parrains. D’actuels artistes à succès, surtout des hommes, plutôt sur le retour. Ils représentent l’idéal de réussite dont les concurrents veulent reproduire la carrière. Ce sont des pères, des modèles et des dieux. Pour eux, décider de participer est un arbitrage difficile en terme d’image. Leur présence va-t-elle accroître leur popularité ou au contraire, les faire basculer définitivement parmi les anciens ? Ils personnifient la divine idole, paternelle et bienfaitrice, qui se penche sur le berceau du petit.

 

-         Le public. Tous les jeunes et moins jeunes, fascinés par le show-biz. A la fois masse ignorante qu’il faut séduire et juge suprême au verdict sans appel. L’archétype de la souveraineté populaire remettant son bonheur aux mains de l’élite.

 

L’atmosphère soigneusement entretenue est tout autant symbolique. Tout concourt à l’acquisition de la discipline de fer voulue par la hiérarchie. Les relations entre élèves se doivent d’être toujours empreintes d’amitié sentimentale, voire d’idylle discrète. Les attitudes corporelles, les mimiques et le langage s’efforceront d’apparaître spontanés et suggestifs par culte de l’authenticité sans apprêt. Les jugements, voire les critiques seront nécessairement positifs, car autrui a droit à un respect absolu. Pour autant, on encourage fortement l’écoute de soi, de son corps, de ses sentiments et de ses angoisses. L’ambiance de travail et d’effort sera constamment entretenue, les séances d’autocritiques, approfondies et humiliantes à l’occasion. Il s’agit, au total, de créer un groupe d’hommes et de femmes libres et égaux, consacrés corps et âme à leur mission.

 

Il y a du Platon, du Pétain et du Lénine dans cette République au combat !

 

Mais l’enjeu est tout autre, car l’ennemi, c’est l’ami ! Tous sont finalement livrés les uns contre les autres, sous les yeux impassibles des professeurs, au gré des émotions versatiles de la foule souveraine. La Star Académy est une école de gladiateurs. Une sorte d’éthique sublime est mobilisée pour l’entredéchirement docile et souriant des candidats, bras dessus, bras dessous. Au moins les lutteurs des arènes antiques exprimaient-ils leur furie. Ici rien de tel, la mise à mort non sanglante s’exécute dans la retenue, l’amitié, l’admiration, le loisir familial. Pourtant, ne doutons pas qu’en coulisse, les déceptions et les rancœurs doivent être dramatiques, lorsque l’échec anéantit le premier bonheur d’avoir été choisi, tant de mois d’attente et de travail, nombre d’étapes victorieusement franchies les unes après les autres, l’espoir final de devenir une “star”.

 

Toute la question est là ! Qu’en est-il, au fait, de cet espoir final ??? Après cinq années d’activité, l’entreprise présente déjà certaines constantes. On peut en retenir au moins deux : une réussite fulgurante et croissante de l’émission, mais aussi, un oubli quasi complet des compétiteurs, même des vainqueurs, après leur participation. Citons deux chanteuses, dont une maintient difficilement une certaine présence, et l’autre apparaît sporadiquement. Tant de succès ont pourtant vu le jour ailleurs, durant cette période, sans rien devoir à cette académie !

 

Marketing ! Le vrai but, non avoué, des organisateurs de l’émission (suprême partie prenante, dont l’incognito est soigneusement entretenu), ne fut donc jamais de lancer des poulains sur la scène, mais de faire de l’audience, et par derrière, de l’argent, grâce à un jeu de massacre “propre” ! Cette machinerie ne se soucie aucunement du sort futur de ses bretteurs, qu’elle dope savamment pour le combat d’un seul jour. Tout vise à plaire au public présent. Le très court terme demeure l’universelle loi d’airain du profit mercantile. Le mirmillon vainqueur des cirques romains, lui, était assuré d’une notoriété durable et de l’aisance matérielle. Rien de tel aujourd’hui. Combien de jeunes talents sont retournés à leur famille, peut-être fiers du souvenir de leur aventure (un noble effort rend toujours heureux), mais finalement aussi vides qu’avant, la déception en plus ?

 

En éthique, un résultat répété est toujours le signe d’une intention. Aristote l’avait déjà noté, la meilleure stratégie de la tyrannie, pour se maintenir au pouvoir, c’est de simuler la vertu.

 

 
 
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