“Le but de la philosophie n'est pas de savoir ce que les hommes ont pensé, mais bien quelle est la vérité des choses”
Polarisée ? Au Golgotha, le Christ déployé sur la croix, avec Jean et Marie effondrés à ses pieds, semble vouloir embrasser l’humanité entière pour l’emporter, dans une infinie souffrance, vers le Ciel. La croix parle d’elle-même : elle est la brutale rencontre de la verticalité et de l’horizontalité de l’humanité.
Mais il semble qu’aujourd’hui, en Occident du moins, ses deux montants soient devenus de même polarité : ils se repoussent mutuellement et refusent de s’associer. Des chrétiens (nous les dirons verticaux) attachés au sens de la transcendance, soucieux de fidélité au Magistère, assidus à la pratique des sacrements et à l’éthique de leur agir, s’opposent plus ou moins violemment à d’autres (nous les dirons horizontaux), attachés à l’universalité de l’évangélisation, fervents défenseurs de l’amour fraternel, de la solidarité avec les plus pauvres, de la liberté et de la créativité de chacun au service des autres.
Les premiers, chercheurs d’authenticité, restreignent leur société aux seuls milieux qui partagent leurs convictions, tandis que les seconds, au nom de la solidarité, s’ouvrent sans discernement à tous les vents. A force d’autarcie, la consanguinité et la dégénérescence culturelles menacent les “verticaux”, tandis que les “horizontaux”, par leur vagabondage spirituel, ont l’âme séropositive, mortellement privée de ses défenses immunitaires.
Chacun éprouve plus de répulsion pour l’autre encore que pour l’athée militant qui se réjouit de cette division et sait l’entretenir. Cette aversion mutuelle devient insupportable à l’heure où c’est plutôt la désertification et la sénescence des paroisses qui est le constat majoritaire. Depuis 40 ans qu’on nous annonce un renouveau, nous sommes toujours là, de moins en moins nombreux, accaparés à nous anathématiser mutuellement tandis que le vaisseau semble faire eau de toutes parts. Au moins dans la barque, les Apôtres étaient-ils solidaires devant la tempête ! Tous les chrétiens attachés à leur foi devraient s’interroger sur les meilleures façons de surmonter cette polarisation mortelle de l’Eglise.
Mais ce conflit n’est-il pas de toujours ? Dès l’origine de l’Eglise, saint Jacques ne s’en faisait-il pas déjà l’écho ? « A quoi cela sert-il, mes frères, que quelqu'un dise : " J'ai la foi ", s'il n'a pas les œuvres ? La foi peut-elle le sauver ? Si un frère ou une sœur sont nus, s'ils manquent de leur nourriture quotidienne, et que l'un d'entre vous leur dise : " Allez en paix, chauffez-vous, rassasiez-vous ", sans leur donner ce qui est nécessaire à leur corps, à quoi cela sert-il ? Ainsi en est-il de la foi : si elle n'a pas les œuvres, elle est tout à fait morte. Au contraire, on dira : " Toi, tu as la foi, et moi, j'ai les œuvres ? Montre-moi ta foi sans les œuvres ; moi, c'est par les œuvres que je te montrerai ma foi. » (2 Jc. 14-18) Cependant, à en lire le commentaire de Thomas d’Aquin, qu’on ne se précipite pas à penser que Jacques donne raison aux seconds contre les premiers : « Les œuvres sont dites " mortes " en raison de ce qui leur manque : parce qu'elles n'ont pas cette vie spirituelle qui vient de la charité par laquelle l'âme est unie à Dieu, recevant de Dieu la vie comme le corps la reçoit de l'âme. C'est de cette façon que la foi, sans la charité, est dite " morte ", selon S. Jacques : "La foi sans les œuvres est morte." C'est aussi de cette façon qu'on appelle mortes toutes les œuvres bonnes par leur genre, qui sont faites sans la charité » (Somme théologique, Ia IIae, q89, a6, c). Saint Thomas, au nom de l’apôtre, renvoie dos à dos la foi morte sans les œuvres, et les œuvres mortes sans l’union à Dieu.
En resterons-nous là, en nous instituant, de facto, tiers observateur impartial et irresponsable, de l’opposition irréductible entre deux courants également légitimes ? Nous contenterons-nous d’appeler les uns et les autres au dialogue et à la tolérance mutuelle, comme si nous étions nous-même thérapeute du Corps du Christ ? Non, nous sommes partie prenante de sa blessure. Il est des faux balancements qui sont des abandons d’obstacles. C’est encore l’Evangile qui nous donne la réponse : «Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui acquittez la dîme de la menthe, du fenouil et du cumin, après avoir négligé les points les plus graves de la Loi, la justice, la miséricorde et la bonne foi ; c'est ceci qu'il fallait pratiquer, sans négliger cela» (Mat. 23, 23). C’est au pharisien, qu’il incombait d’assumer la fraternité sans négliger la pratique de la loi. Ce n’est pas au bon samaritain, à qui la solidarité fraternelle a suffi pour son salut, malgré sa foi erronée. C’est au montant vertical qu’il est demandé de porter l’horizontal.
A nous donc et non aux autres ! A nous qui avons plus reçu, d’être de “bons” pharisiens et d’inverser notre polarité pour attirer et ne plus repousser. Jean Paul II nous le rappelait : “Il n’y a pas de renouveau sans conversion personnelle”.