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N° 48 : Lévi-Strauss a rejoint le Père Structurel 10.11.2009

 

Lévi-Strauss a rejoint le Père Structurel. Le vingtième siècle fut l’âge d’or des sciences humaines. Mais celles-ci se sont très souvent érigées sur deux principes qui ont durablement obéré leur prétention à la scientificité véritable.

 

      Elles revendiquèrent pour première règle, une totale autarcie dans le choix et la formulation de leurs principes. Les sciences économiques ont créé l’homo œconomicus en séparant le comportement marchand de l'homme de toute autre approche, notamment morale. « Il s'agit d'isoler une dimension de l'action – la recherche de la richesse – qui prévaut dans un domaine de la vie sociale – l'économie – afin d'en étudier les conséquences caractéristiques pour le domaine en question » (Pierre Demeulenaere, article Homo œconomicus dans Dictionnaire des Sciences Humaines PUF 2006). On parle aussi d’homo religiosus en histoire des religions, d’homo habilis en paléontologie, ou encore d’homme structural. Chacun veut y aller de son homo.

 

      Elles prétendirent – seconde règle – à l’usage d’une méthode déductive universelle sur le modèle des sciences physiques, qu’on nomma "dures" pour l’exemple. Il faut « traiter les faits sociaux comme des choses » (Durkheim, Règles de la méthode sociologique), tandis que le même Pierre Demeulenaere écrit : « L'analyse économique doit procéder, comme les sciences de la nature, par abstraction » (Homo œconomicus, PUF,1996), ou « L'activité structuraliste comporte deux opérations typiques : découpage et agencement … Les unités posées, l'homme structural doit leur découvrir ou leur fixer des règles d'association » (Roland Barthes, L’activité structuraliste, 1963).

 

      Sur cette double base, ce fut une explosion des écoles, chacune jalouse, ô combien, de son indépendance et multipliant statistiques et équations : Psychologie, sociologie, psychologie sociale, ethnologie, psychanalyse, sciences cognitives, pédagogie, linguistique, économie, anthropologie, criminologie, bioéthique, religions comparées, cybernétique, paléontologie, éthologie humaine, écologie humaine, sciences juridiques, sciences politiques, sciences de l’information, démographie, urbanisme etc., etc., avec leur nombreuses subdivisions volontiers antagonistes, et prolongées par des logiciels informatiques ou des pratiques thérapeutiques.

 

      Pourtant ce code déontologique à deux règles est en opposition frontale avec la réalité que le scientifique prétend observer : les actes humains et sociaux, lesquels obéissent à quatre principes contraires :

      - L’acte humain est infiniment circonstancié. Celui que je pose ici, aujourd’hui, dans tel but est évidemment très différent de l’action d’autrui, ailleurs, hier ou demain, pour le même motif. La crise de 1929, par exemple, engendra en Europe toute la gamme des réactions politiques, de l’extrême droite à l’extrême gauche, en passant par l’attentisme républicain, la neutralité opportuniste ou le fier isolement. Aucune déduction universelle n’était possible.

      - Les motifs d’action sont polymorphes. S’entremêlent sans dissociation possible, des questions d’argent, d’envies, de culture, de dignité, de raison, d’amour, de haine, d’habitudes… S’obnubiler sur un seul d’entre eux, c’est s’interdire à tout jamais de comprendre l’homo pour lui-même. Ne cherchons pas d’autre raison à l’émiettement exponentiel des sciences humaines.

      - L’homme est libre. Quand bien même tout lui indiquerait avec évidence la conduite à tenir, il lui reste éternellement la possibilité de choisir volontairement une autre direction. Même les instincts humains sont souvent de ce fait, ambivalents et rendent aléatoire leur décision finale. Les sciences humaines seront donc d’autant plus scientifiques que l’homme sera moins libre. On le sait depuis Machiavel, la manipulation des foules est, parmi elles, la discipline la plus exacte.

 

      Pourtant, comme le constate à plusieurs reprises, Aristote, « l’intelligence est comme forcée malgré elle par la vérité ». L’atomisation des recherches a contraint les savants à vouloir établir des ponts entre des théories voisines ou complémentaires ; et se sont naturellement développées des doctrines "interdisciplinaires" ou "transverses", pour atteindre autant que possible une vision de l’homme dans toute sa globalité. C’était, néanmoins, au prix du principe d’autarcie de la science.

 

      Mais là ne s’arrête pas la remise en cause. Bien que toutes ces sciences aient unanimement protesté de leur totale étanchéité envers quelque morale que ce soit, la question du bonheur humain n’en demeure pas moins chez elles, comme un filigrane lancinant. Déjà, l'économie du 19ème enseignait qu’« un comportement égoïste est légitime : à travers la main invisible, des marchés supposés parfaits doivent nous conduire au plus grand bonheur possible » (Smith, mais surtout Walras). Mais depuis 2008, l’OCDE, constatant l’insignifiance d’indicateurs purement techniques pour juger des progrès à promouvoir sur notre planète, est en pleine ébullition, pour définir, enfin, un « Indice de Bonheur Mondial (IBM) », comprenant un taux de guerre, de dictature, de misère ou d’ignorance (la France serait en 10ème position).

 

      - Nous concluons donc ce siècle de sciences humaines positives, sur le quatrième principe d’action, qui est en fait le tout premier (celui que les bâtisseurs ont rejeté !) : l’homme agit d’abord et avant tout pour son bonheur ; et sur la grande, sur l’unique question : qu’est-ce que le bonheur humain ? Question morale s’il en est, en dehors de laquelle toute velléité de comprendre les actes humains est pure illusion. L’intelligence est comme forcée malgré elle par la vérité !

 

 
 
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