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N° 60 : Apocalypse 10.03.2015

 

Terminé la lecture des trois prophètes du malheur français, Zemmour le chevalier, Houellebecq le prince-évêque, et Obertone le varlet.


Dès le titre de son livre, La France Big Brother, Obertone navigue sous le vent d’Orwell, et cite 1984 à toutes les pages. Or, ce roman de science-fiction publié après-guerre, surnage encore grâce à ses intuitions prophétiques, certes, mais sombre aussi lentement, sous le poids d’une atmosphère aujourd’hui poussiéreuse. Cet entre-deux-eaux éclabousse inévitablement Obertone. Seule l’évocation de faits et de noms d’actualité le sauve du naufrage dans la généralité et le moralisme. Ces noms et ces faits sont assez nombreux pour donner parfois corps à ses jugements, mais ils ne sont pas en quantité suffisante pour lever l’impression d’une posture aux exemples choisis. Il en faudrait dix fois plus pour emporter notre conviction, pour être autre chose qu’un 1984 bis, autre chose qu’une fiction.


L’auteur transfert à notre société la soumission au Parti, qui est la thèse essentielle d’Orwell. Son héros, “Monsieur Moyen”, subit le joug des politiciens, des medias, des enseignants, des militants et des artistes, devenus à leur tour les instruments du Parti. Même la Présidence de la République n’est qu’un relais. Mais ce joug est consenti et même désiré à force de pression mentale et d’autocensure. Pour Obertone, l’idéologie dominante n’a d’autre fin que la domestication des citoyens au rang d’animaux de compagnie, en castrant leur nature sauvage rebelle. C’est la meilleure garantie, pour le Parti, de se maintenir au pouvoir. L’auteur revendique l’objectivité d’un sociologue qui ne porte pas de jugement moral ni n’apporte de solution, mais il n’en est rien. On devine aisément, en filigrane, toute la rancœur néo-darwinienne qui le brûle de l’intérieur.


Mais Obertone ne croit pas à l’existence d’un Parti aujourd’hui en France ; il évoque plutôt la confluence spontanée, comme par une main invisible, des vices humains : addictions, domination et sexe du côté du pouvoir, peur et consommation de l’autre. Il refuse la “théorie du complot”. Il suffirait pourtant, pour donner la véritable réponse, d’écrire “Big Brother :.”. Alors seulement, le livre aurait pris la dimension d’un diagnostic politique de première importance. L’auteur s’approche en citant des clubs de pensée influents, mais ne franchit pas la douane. Lui-aussi, finalement, s’est laissé domestiquer. Son livre restera un roman plus ou moins réaliste, mais on est loin d’une étude scientifique.
      

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Il en va tout autrement avec Zemmour. Son essai, Le suicide français est une véritable somme historique sur 40 ans d’évolution politique et sociale de la France depuis 1968. Année après année, l’auteur rejoue les faits cruciaux qui ont modifié durablement la société et ses mœurs. Un contemporain de cette époque se prend d’une émotion nostalgique pour ce livre. Ah ! oui, c’est vrai, il y eut ça … et ça … Tout est si évocateur qu’il faut faire un grand effort de recul pour repérer les événements qu’il aurait pu omettre ou fausser. Nous ne reviendrons pas sur les polémiques dont l’ouvrage fut l’objet de la part des myopes et des amnésiques. Zemmour suit le déclin français à la trace avec toute la compétence d’un politologue mais avec aussi le vécu d’un enfant de ce temps. Il ne l’explique pas, néanmoins, car il n’a pas l’intention d’y remédier, mais seulement de le diagnostiquer.


Il ne le pourrait pas, non plus, car mai 68 fut la phase éruptive de la maladie. Quand celle-ci paraît, il est souvent trop tard pour guérir. On n’a pas encore écrit l’histoire du XXe siècle, qui fut le plus sanguinaire et le plus moralisateur de tous les temps. La France connut au moins quatre séries d’événements cruciaux. La guerre de 14, tout d’abord, fut le creuset de l’égalité des sexes et de la remise en cause de la “Nation”.


Les chrétiens, ensuite, ont fraternisé avec les communistes dans les maquis, puis les deux ont partagé la souffrance et la mort avec les juifs et les déportés de toute l’Europe dans les camps. À la libération, leur regard sur l’autre ne pouvait plus être celui d’ennemis ; la fraternisation européenne et l’œcuménisme étaient en germe. Les français libres découvrirent aussi la puissance de la richesse avec le débarquement des alliés ; le rêve américain et ses dollars mettaient un pied vainqueur sur notre continent.


La troisième ligne de force fut forgée par les trois hommes politiques les plus charismatiques de ce siècle. Tous trois furent maurrassiens et pétainistes. Tous trois furent ovationnés par le peuple comme des sauveurs. Tous trois échouèrent : Pétain sombra à Sigmaringen ; de Gaulle, poulain du Maréchal, dont le fils porte le prénom, s’est enfui devant Mai 68 ; et Mitterrand, haut fonctionnaire vichyssois décoré de la Francisque, intime jusqu’à la fin de René Bousquet, fut perdu par les affaires (Elf, Rainbow-Warrior, les écoutes, …) et les morts suspectes (Hernu, Bérégovoy, de Grossouvre, Bousquet, …) Tous trois avaient pour ligne de conduite le “Politique d’abord” de Maurras ; inconsciemment le peuple le leur reprocha, car ils avaient refusé ce supplément d’âme qui magnifie la politique : “Dieu premier servi”. On leur doit le laïcisme d’aujourd’hui.


La quatrième est beaucoup plus ancienne et pernicieuse. Dès la fin du dix-neuvième siècle, la franc-maçonnerie entama un travail de sape acharné contre l’ordre familial naturel. Quelques dates et quelques noms le rythment : légalisation du divorce avec Alfred Naquet en 1884. Légalisation de la pilule contraceptive en 1967 par Lucien Neuwirth et Pierre Simon qui deviendra Grand Maître de la Grande Loge de France ; cette date marque un point de fracture et de non-retour dans la relation homme / femme, et dans la place de la famille. Le même docteur Simon fonda le planning familial et seconda Simone Weil dans la légalisation de l’avortement en 1974. Pierre Bergé, enfin, finança et imposa le “Mariage pour tous” en 2013, en rançon de son soutien à Hollande.


La France couvait mai 68 depuis bien des décennies.

 
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Avec Soumission, Houellebecq offre un roman qui se prête à trois niveaux de lecture :


1ère lecture : L’auteur décrit une tranche de vie de François, professeur de Lettres à Paris VII. Très intelligent mais sans caractère, il vit solitaire, incapable d’attachement durable. Son esprit sceptique et sa libido anarchique en sont sans doute la cause et la conséquence. Sa carrière universitaire est en stand-by depuis longtemps et il ressent les premières atteintes de l’âge : pannes sexuelles et acédie spirituelle. Il se maintient en vie grâce à son admiration pour Huysmans, qu’il prit autrefois pour sujet d’une thèse très remarquée ; la seule chose, au fond, qu’il ait réussie et son dernier lien avec le Ciel.


2ème lecture : En arrière-plan de la morosité du héros, se déroulent des événements révélateurs d’une décomposition accélérée de la société. C’est là, on le comprend, le sujet véritable du livre. Sa jeune maîtresse l’abandonne pour suivre ses parents en Israël ; les attentats se multiplient en banlieue proche ; un couple d’amis très informés s’enfuit en province ; lui-même prend peur et quitte Paris au prétexte d’un pèlerinage vers Huysmans et la Vierge noire de Rocamadour. Nous sommes en 2022, dans un monde futur mais où les principaux acteurs d’aujourd’hui sont encore en scène : François Hollande et Manuel Valls, Marine Le Pen, David Pujadas, François Bayrou (transformé en benêt utile), etc. Nous ne savons plus s’il s’agit de fiction ou de réalité. C’est tout l’attrait du livre ; l’auteur joue avec son lecteur pour le plaisir de tous les deux, à l’inverse d’Obertone.


2022, c’est aussi l’échéance présidentielle. On assiste, depuis plusieurs années, à la montée en puissance du Front National et à la croissance rapide d’un nouvel acteur, la “Fraternité Musulmane”. Le rapport de force est tel que les partis traditionnels doivent s’allier entre eux et avec cette Fraternité, pour contrer le FN. La coalition l’emporte de justesse, et la France se dote d’un président musulman. Alors commence une islamisation très “gentleman” du pays, qui pose, avec douceur et beaucoup d’argent venu d’Arabie, les bases de la Shari’a et de la Dhimmitude. D’où le titre du livre. À partir de là, néanmoins, le roman échoue. Houellebecq est-il lui-même trop parisianisé ? Il n’envisage aucune résistance de la part de la gent féminine, ni aucune chouannerie de province. C’est fort peu crédible.


3ème lecture : Le message de Houellebecq se dévoile petit à petit. Son personnage d’individualiste foncier, au scepticisme brillant et amoral et dont l’irresponsabilité est épongée par le statut de fonctionnaire, ce personnage est le symbole même de la putréfaction de la France. Il en est tout à la fois la cause et le pur produit. Or, la loi islamique, en rétablissant un minimum de règles naturelles, restaure rapidement la prospérité familiale, la dignité morale et la paix sociale, pour le plus grand bonheur de la population. Notre héros, en se soumettant lui-aussi à l’ordre nouveau (à défaut de Vierge noire), retrouve goût de vivre, activité littéraire et dignité. Passer d’un État laïc à religieux représente un progrès de civilisation. Mais ce bien-être recouvré tend son cou, encore trop chrétien, au joug de plomb que prépare un Islam vainqueur.

 

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Aucun des trois prophètes n’ose mettre le doigt sur la blessure, semble-t-il. La déchristianisation du peuple français l’exilera-t-elle vers La Mec, comme Les hébreux à Babylone ? Ils ont pleuré avec amertume la perte de la Terre Promise et leur longue soumission à un peuple étranger. Même au retour du petit nombre, plus rien ne fut comme avant, et la nostalgie de leur splendeur perdue s’empara pour toujours de leur cœur. Au point que la plupart ne sut accepter le projet de salut de Yahvé. L’Islam sera-t-il le bras vengeur de Dieu abattu sur une France blasphématrice ? La civilisation catholique fut la source de sa grandeur et de sa douceur. Sa gloire passée ne survivra-t-elle plus que dans nos mémoires aveuglées par la souffrance ?

 

 
 
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