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N° 46 : La voie vers la métaphysique 20.02.2009

 

La voie vers la métaphysique. Les huit livres des Physiques d’Aristote sont entièrement tendus vers la démonstration d’une cause première à tout l’Univers. Toutefois, le physicien ne peut parvenir à en formuler qu’une approche négative : elle n’est pas comme sont les êtres naturels dont il a l’expérience ; cet être premier est non-mobile, non-corporel, non-perceptible, non-déficient, non-terminé, non-localisé, non-temporalisé, non-continu, non-divisible, etc., selon les divers champs communs d’investigation de la physique. Mais quel est-il positivement ? … Le philosophe est contraint d’achever sa recherche devant un trou béant.

 

      Aussi l’intelligence, au terme de ce travail, n’est désormais animée que d’un seul désir dont rien ne pourra la détourner : Quelle nouvelle voie défricher pour appréhender l’identité de cet être primordial, dont on a conclu à l’existence certaine, mais dont on ne peut dire, par le chemin suivi jusqu’à présent, ce qu’il est en lui-même. En bonne logique aristotélicienne, il s’agit de passer de l’"an est ?" (existe-t-il ?) au "quid est ?" (quel est-il ?). C’est cette recherche qu’on nommera Métaphysique, et qu’Aristote appelle Philosophie première ou Théologie.

 

      Pourtant, nous nous heurtons tout de suite à un obstacle génétique majeur : l’objet propre de notre connaissance est l’être tangible dans une observation ou une expérience. Notre intelligence ne peut se nourrir que de la sensation visuelle, tactile ou auditive des phénomènes. Nous ne disposons d’absolument aucun autre moyen naturel d’accès direct au réel. Existera-t-il, dès lors, un passage pour atteindre l’essence de cet être imperceptible par essence, et qui fait pourtant l’objet de toute notre tension intellectuelle ? Pourrons-nous nous fonder sur ce que nous savons de l’être naturel, afin de formuler – mutatis mutandis – quelque chose de parallèle sur l’être premier ? Saurons-nous nous appuyer sur le fait que l’un et l’autre sont substances, même s’ils le sont différemment, pour parvenir à définir la substance première ?

 

      A ce moment de la réflexion, le naturaliste ne peut manquer d’évoquer un illustre précédent : les mathématiques. Une sphère géométrique n’est au fond rien d’autre qu’une boule de quille, mais sans hêtre, ni poids, ni aspérités, ni sonorité, ni déformation au choc, ni vieillissement. Bref un être purement imaginaire sans l’apparence de la matière. Pourtant, l’objet mathématique ne parvient pas à se séparer totalement des contraintes matérielles, puisqu’il conserve encore volume et figure. Sans être donc la solution recherchée, cette science est une source d’inspiration pour le physicien dans sa quête métaphysique ; elle provoque le déclic qui lui fera croire qu’existe une voie. C’est pourquoi Aristote ne la négligera jamais, même s’il ne lui accorde pas autant d’importance quantitative dans ses travaux. Il lui reconnaît pour cette raison le statut de science intermédiaire entre les disciplines naturelles et la philosophie première.

 

      Cette voie pourrait être celle de l’analogie. De quoi s’agit-il ? L’analogie est la propriété d’un même et unique terme à pouvoir désigner plusieurs réalités différentes, pourtant intimement reliées par une qualité ou par une autre. "Capital", par exemple, connaît de nombreuses impositions, depuis la peine juridique jusqu’à la somme d’argent investie ou le chef-lieu d’un pays (sans parler des inflexions, comme capitaine ou capitoul) ; mais toutes ces notions sont unies entre elles par l’idée de tête et de principe. Un terme unique ou du moins une seule racine pour nommer de nombreuses réalités fort diverses, quoique toutes connectées dans un rapport fondamental : celui de la tête au reste du corps.

 

      Si, dans notre conception de l’être naturel, nous parvenions à faire totalement abstraction des notes qui renvoient à sa naturalité concrète, alors, celles qui résisteraient à cette épuration, peut-être pourrions-nous les appliquer analogiquement à la substance première. Ainsi, puisqu’on en parle, ce terme "substance", par exemple : il désigne l’être naturel, à la fois composite et unique, comme cette pierre, ce cheval ou cet homme. Aristote l’étudie tout au long du premier livre des Physiques. Chaque substance naturelle est une synthèse originale de matière et de forme, siège de tout un jeu cohérent de propriétés et de dynamismes caractéristiques de l’individu : volume, poids, résistance, potentialités multiples, etc. Ne pourrait-on pas considérer cet être indépendamment de son côté "naturel", c'est-à-dire séparé de sa matérialité, de son imperfection et de sa muabilité ? Ne pourrait-on pas retenir de lui uniquement ce qui le fait, dans certaines limites et pour un certain temps, dominateur sur sa matière, parfait et immuable ? Ne serions-nous pas en droit, dès lors, de prétendre que ces notes qui ne sont qu’éphémères, nous venons de le dire, s’agissant de la substance naturelle, doivent au contraire s’attribuer en pleine propriété à la substance immatérielle ?

 

      Toute la métaphysique baigne dans ce processus d’analogie. Non pas tant dans l’analogie bien connue des dix façons d’être, signifiées par les dix catégories logiques, car Aristote précise que la métaphysique se préoccupe principalement de l’être substantiel. Mais dans les possibilités d’application analogique de certains traits de l’être naturel à cet autre être que nous cherchons à connaître, et qui partage avec le premier le fait d’être substantiel. Tel est le seul chemin qui permette de surmonter la défaillance des sens. On le devine escarpé et plus d’une fois évanescent. Le support de la représentation imaginaire, indispensable en permanence dans l’acte d’intelligence, ne peut offrir que le réel naturel, mais la raison, aiguillonnée par son projet, s’efforce de lui faire rendre bien davantage, en dématérialisant la notion matérielle pour l’ajuster exactement à la réalité immatérielle.

 

      C’est ainsi, en reparcourant toute la route de la physique, mais de façon analogique, que la métaphysique parvient, tant bien que mal, à tenir en fin de compte un discours aussi certain que le permet la faiblesse de l’intelligence humaine, sur Dieu.

 

 
 
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