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N° 83 : Corrida 09.01.2023

      Mercredi 24 novembre 2022, deux propositions de loi furent débattues devant le parlement. On abandonna la première – l’interdiction de la corrida – malgré une large majorité d’opinion favorable, et l’on adopta la seconde – la constitutionalisation du droit à l’avortement – à une majorité plus écrasante encore des représentants du peuple.

 

      Normand de souche, je suis biterrois d’adoption, et devenu plus chauvin qu’un autochtone si c’était possible ! Ce bout de province, encore protégé, malgré quelques taches saisonnières, d’un tourisme décérébré, reste une sorte de paradis à la française. Ce mercredi, le bleu blanc du ciel d’automne enluminait le feu des vignes et des érables ; la méditerranée se reposait des chaleurs de l’été avant de griser pour l’hiver. Les monts étaient ocres, comme les bâtisses et les berges des fleuves côtiers. Le temps des fêtes a passé, mais les gens sont demeurés joyeux. Les vrais occitans sont toujours joyeux.

 

      Il y a trois férias, à Béziers au 15 août. Celle des fêtards nocturnes venus de nulle part pour ne rien faire de propre. Celle des familles heureuses de flâner et manger au son des penas et des bandas dans les chaudes soirées d’été. Et celle des purs biterrois. Élégants au dernier chic de la mode urbaine, ils se réunissent en bodegas privées tenues par les notabilités locales des secteurs économiques, sociaux et culturels pour des parades et des rivalités de séduction à la recherche d’amitiés. Car ici tout se fait d’homme à homme, d’homme à dame. Virilité et féminité bouillonnent de tout leur sang méditerranéen et de leur orgueil ombrageux. Tous sont afficionados.

 

      Aux antipodes du brouet que les procureurs de la pensée châtrée nous inoculent aujourd’hui ! Comment ces blafards protestants du nord peuvent-ils comprendre l’honneur d’un petit homme seul, vêtu de son courage et d’un habit de lumière pour affronter la bête furieuse dix fois plus puissante que lui ? Certes, il va tuer, mais avant chaque passe, lui-même se prépare à mourir devant Dieu, selon l’art plurimillénaire de ses pairs. Se jetant au-devant d’affrontements les plus périlleux, il fait trembler de peur et d’admiration. Parfois – plus souvent qu’on ne le croit – il paye très cher avant même d’arriver à la gloire. C’est le toro qui se fait alors matador.

 

      Allez comprendre ce mercredi ! La foule et nos princes haïssent cette mort nette au soleil, où le sang se répand sur le sable sous les ovations, mais “en même temps” exigent la mort vicieuse au tréfond d’entrailles maternelles muettes et opaques. Car enfin, ce corps étranger que l’on a parfois cisaillé pour mieux l’expulser, est un être vivant à part entière. Ses chromosomes, son développement l’attestent ; les vidéos le confirment. Quiconque refuse de parler d’homicide est tout de même contraint de reconnaître un “embryocide”, c’est-à-dire la mise à mort d’un animal à l’ADN humain original.

 

      À l’heure où le bobo parisien se fait jaïniste, où le peuple s’étrangle derrière son écran au spectacle de la souffrance d’un poussin, comment comprendre ? La mort lorsqu’on ne la voit plus, la souffrance lorsqu’on ne l’entend plus, n’existent plus ? Notre éthique publique fondée sur le primat de l’émotion individuelle, se fourvoie dans des “en même temps” de plus en plus conflictuels. « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » proclamait notre constitution ; il faudra désormais lire « La liberté des faibles consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas aux forts ».

 

      Et saint Thomas, où est-il ? Il est le grand témoin bâillonné de la justice naturelle. Oui, la proclamation du droit dépend de la volonté du législateur, et une source de conflit peut recevoir des solutions diverses en divers pays. Mais s’il contrevient à l’ordre naturel pour des raisons d’intérêts passionnels ou pires, alors tôt ou tard surgissent des “en même temps” insolubles qui ne se règlent que par la force du plus puissant.

 

      Tant dans la Somme que dans ses commentaires éthiques et politiques, Thomas nous livre sa pensée fondatrice sur la relation entre la justice naturelle et le droit des hommes. Il est le véritable inspirateur du “Droit naturel” et de ses ramifications plus ou moins circonstanciées, qui ont façonné la splendeur de notre civilisation chrétienne aux racines judéo-grecques. Depuis deux trois siècles, nous nous en éloignons lentement mais sûrement au profit de la “Volonté générale” comme ce mercredi. Quel est l’ordre nouveau qui s’annonce ? Ni chrétien ni païen, il est le résultat fluctuant de vogues idéologiques successives, parfois savamment orchestrées en des officines discrètes. Une chose est sûre, il a la nature en haine. Car il est naturel que des animaux soient tués pour que l’homme vive et non l’inverse.

 

Bonne et heureuse année 2023 à toutes et à tous

 
 
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