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N° 52 : Mystique et métaphysique 30.01.2012

 

Mystique et métaphysique      Mystique et métaphysique sont souvent confondues dans le vocabulaire courant. Osons même dire qu’aujourd’hui, plus personne ne sait vraiment quel sens donner à "métaphysique". On pense à un discours sur Dieu, à la croyance en une vie après la mort, au choix de valeurs absolues généralement inaccessibles aux hommes. Mystique, au contraire, serait plus familier à l’esprit. Une personne mystique apparaît, de l’avis de tout le monde, en relation avec Dieu, ou avec un dieu, ou un au-delà, de manière privée et obscure.

 

      La lecture des grands spirituels permet de comprendre que leur vie est toute centrée autour d’une rencontre avec le divin, au moins une fois dans leur vie, mais souvent de façon répétée, voire même régulière. Ils ont expérimenté Dieu comme nous expérimentons le monde et les hommes qui nous entourent, de tous leurs sens, de leurs sentiments et de leur intelligence. C’est ce que leurs écrits veulent exprimer : non seulement une aventure personnelle, mais plus profondément, la personnalité de Celui qui monopolise leur esprit, autrement nommée "la nature de Dieu" !

 

      Se profile donc comme un parallélisme entre les propos que nous pouvons tenir sur le monde et les hommes, et ceux que ces personnes tiennent sur Dieu. Le discours mystique serait à l’expérience surnaturelle du divin ce que le discours scientifique ou philosophique est à l’expérience naturelle du monde : un compte-rendu réfléchi et explicatif, au-delà de la simple narration des impressions ressenties.

      Là cesse, cependant, la comparaison, car tous les mystiques avouent la misère spirituelle de l’âme devant Dieu. L’objet de leur connaissance et de leur désir dépasse tellement les capacités médiocres de leur condition humaine, que ce savoir et cet amour, même surnaturellement accordés, ne peuvent s’y reposer sans opérer une sorte de violence sur l’esprit et la sensibilité. Comme une liqueur trop abondante qui s’introduirait en force et distendrait à les rompre, les bords du récipient. Fréquemment, une telle secousse laisse des traces corporelles et psychologiques durables chez la personne.

 

      Tous savent que leurs écrits sont infiniment en dessous de la vérité vécue. Les mots sont impuissants, et il leur paraît que seul un langage symbolique, poétique, qui suggère beaucoup plus qu’il ne signifie, pourrait être le moins inadapté. C’est aussi pourquoi, après une extase plus forte que les autres, saint Thomas d’Aquin cessa d’écrire, regardant tout ce qu’il avait produit jusqu’à ce jour comme de la paille refoulée par le van et destinée au feu. Il garda, par la suite, définitivement le silence, au grand désespoir de ses proches. Il semble qu’en outre, il aspira profondément à quitter cette vie, ce qui ne tarda point.

 

      La démarche du métaphysicien est, quant à elle, profondément différente. Étant à la recherche de l’explication la plus élevée des réalités qu’il observe autour de lui, sur la Terre comme dans les Cieux, il veut s’appuyer sur la caractéristique la plus universellement répandue parmi elles : le fait qu’elles "soient", tout simplement, et que chacune exerce un être circonscrit. C’est pour rendre raison de l’être de toutes choses que le métaphysicien se lance dans la quête de la cause de tout.

 

      Cet être responsable de tout être, jouira au moins de toutes les perfections dont chaque être précis partage une portion. Le discours d’Aristote tend donc à définir, l’un après l’autre, les traits de perfection de l’être en sa qualité d’être, en passant en revue les atouts limités de chaque genre d’êtres : essentiel et non adventice, réel plutôt que mental, substantiel et non accidentel, acte pur plutôt que mêlé de puissance, impérissable enfin. Cet être parfait, que le discours fait surgir au fur et à mesure où il précise sa nature, cet être substantiel, acte sans mélange donc spirituel, et éternel, le philosophe finit par lui donner un nom : «pensée de la pensée».

 

      Nous ne développerons pas davantage, car notre propos n’est pas de commenter la Métaphysique d’Aristote. Il veut se contenter de manifester la différence radicale entre ce discours et le discours mystique. Tous deux entretiennent une relation avec le discours scientifique ou philosophique sur le Monde, avons-nous dit. Mais la proportion est géométriquement inversée dans l’un et l’autre cas. Le discours mystique est à l’expérience de Dieu ce que le discours scientifique ou philosophique est à l’expérience du Monde : l’expression élaborée d’une fréquentation. Le discours métaphysique, en revanche, est à la connaissance de l’Être parfait ce que la connaissance du Monde est au discours scientifique ou philosophique : sa base et non son terme.

 

      Contrairement à la mystique, donc, il n’y a pas de véritable expérience métaphysique fondatrice. C’est la purification du discours sur le Monde qui nous permet de méditer sur l’idée à laquelle devrait sans doute ressembler la réalité de l’Être parfait. Telle est la véritable "analogie de proportionnalité" métaphysique. Voilà pourquoi sa contemplation ne parviendra jamais à l’achèvement : personne ne pourra épuiser, un beau jour, tout ce que recèle l’expression « pensée de la pensée », pas même Aristote, son auteur. Car en l’occurrence, le langage et ses évocations sont le seul guide de notre réflexion. Nous savons assurément que c’est cela qu’il faut dire, mais sommes impuissants à comprendre ce que cela veut dire. Seule une rencontre le permettrait…, mais nous entrerions alors dans la mystique, et notre démarche métaphysique deviendrait soudainement dérisoire ... comme de la paille !

 

 
 
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